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28 septembre 2014 7 28 /09 /septembre /2014 13:51

La phrase d’Aristote « l’art imite la nature » a traversé l’histoire de l’art (des arts) et a été plus ou moins à l’origine d’un problème désormais classique (et « classique » n’est pas synonyme de « poussiéreux », mais plutôt, pour le dire vite, de « probant ») :

 

Le but de l’art, des œuvres, des artistes, est-il d’imiter la nature ?

 

Ou plutôt (car la question qui précède n’est pas à proprement parler un problème) :

 

Que signifie l’idée que les arts imitent la nature ?

 

Pour tenter de comprendre le sens de cette archi-célèbre formule aristotélicienne, il faut d’abord remarquer qu’il l’a écrite dans la Physique. Est-il étrange de trouver une telle formule dans un ouvrage qui s’occupe de la connaissance de la nature ? Après tout Aristote (qui s’est passionné pour tout ce qui existe sur terre et au-delà de la terre, ou plus exactement pour tout ce qui existe sous et au-dessus de la lune) a aussi écrit une Poétique, dans laquelle il traite du travail de l’art. Pourquoi cette phrase se trouve-t-elle alors dans la Physique ?

 

Spontanément, l’idée que l’art imite la nature semble devoir signifier que les œuvres ont pour but, pour fonction, de copier ce que nous pouvons voir dans la nature, de copier les choses, êtres, éléments qui composent la nature. La fonction de l’œuvre serait alors une fonction de connaissance, d’enseignement : elle nous montrerait, en plus gros, en plus précis, en mieux, en plus visible, ce que nous pouvons cependant naturellement voir de nos yeux.

« Imitation », dans ce cas, signifie « copie », « miroir », « reflet ».

 

La fonction du peintre, du poète, de l’écrivain, du musicien (etc.) consiste alors dans ce cas à reproduire du mieux qu’il peut la perception naturelle. Elle consiste presque à « singer » la perception naturelle, afin de nous donner à connaître quelque chose en le circonscrivant dans le cadre de l’œuvre (cadre réel du tableau ou cadre plus large de ce que l’œuvre donne à voir, à entendre, à lire etc.).

 

Le champion de l’imitation de la nature (comprise en ce sens) est peut-être la nature morte. Comme son nom l’indique mieux en allemand ou en hollandais, la nature morte (Stillnatur – nature muette ou silencieuse) est une sorte de raccourci de la nature : on montre dans un tableau, dans un espace délimité, ce qu’est la nature. On enferme la nature dans un cadre (comme on enferme un insecte dans un bocal) pour montrer ce qu’il faut y voir.

 

 

 

 

Peter Claez est certainement le maître hollandais incontesté de la nature morte

 

Anonyme Musée des beaux-arts de Dijon

Les célèbres herbes de Dürer

 

 

 

Les natures mortes ne sont cependant pas les seuls exemplaires d’un art qui imite au mieux la nature, c’est-à-dire la perception sensorielle naturelle. La passion (déjà mentionnée dans d’autres billets) des peintres de la Renaissance pour les proportions des corps, des volumes, de l’espace géométrique etc. témoigne de cette volonté de reproduire le réel au mieux.

L’enjeu des artistes semble alors être essentiellement technique : il faut d’abord inventer, puis appliquer, des techniques qui visent une objectivité d’ordre quasi scientifique dans la reproduction des choses perçues.

 

Cette conception de la mimesis (l’imitation) donne aux œuvres un statut presque équivalent à celui des sciences : le peintre est celui qui montre au mieux ce que le savant s’efforce de découvrir – et on ne s’étonne plus que Léonard De Vinci soit à la fois peintre et « ingénieur » (terme certes anachronique) : c’est du même travail qu’il s’agit. On ne s’étonne pas non plus que Galilée ait d’abord pensé se faire peintre (si l’anecdote est vraie…).

 

Peut-on alors admettre que si Aristote écrit « l’art imite la nature » dans sa Physique c’est parce que l’art doit montrer la nature pour la faire connaître ? La science démontre et l’art montre ?

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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 10:52

On a bien tendance aujourd'hui à penser que l'art est un "moyen d'expression", c'est-à-dire un moyen pour exprimer ses sentiments et émotions, pour sublimer une énergie psychique, et donc la transformer en quelque chose d'extérieur à elle.

 

Cependant, cette conception, à quoi on pourrait faire beaucoup d'objections, est très récente et résulte d'un mélange (peut-être mal assimilé par ailleurs) entre certaines thèses romantiques (bien que le romantisme ne fasse en rien de l'art un simple moyen d'exprimer ses sentiments) et certaines thèses psychanalysantes (cf. Freud, Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci) qui viserait à faire de l'art une activité de sublimation.

 

Ainsi, cette idée de l'art comme expression de soi n'est-elle finalement que peu partagée : peu commune dans l'histoire de l'art, peut-être pas me^me pensée comme telle par ceux de qui elle pourrait venir.

 

En effet, il paraît, au regards des oeuvres elles-mêmes, plus judicieux de penser que l'activité artistique a d'abord un but de connaissance du réel. L'oeuvre doit montrer l'essence de la réalité.

 

Cette thèse est largement partagée dans la littérature, mais elle est peut-être encore plus visible dans la peinture, notamment de la Renaissance.

 

C'est ce qu'on peut voir avec Léonard de Vinci (cliquez).

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1 février 2011 2 01 /02 /février /2011 16:29
Ce ballet est la deuxième partie d'un ballet plus complet de William Forsythe, intitulé Impressing the Csar, qui s'interroge sur la tradition classique du ballet.
Cette partie est presque devenue un ballet en soi, elle est souvent dansée pour elle-même, indépendamment des autres parties.
In the middle utilise les "techniques" de la peinture classique, comme la conception géométrique de l'espace et le clair obscur, mais propose cependant de penser l'espace différemment (voir billet ci-dessous).
Les corps ne sont là que pour le mouvement qui construit la ligne, le volume, puis l'espace tout entier. Il ne s'agit pas du tout d'une danse qui vise l'expression de soi-même. Au contraire, les corps sont anonymes, ils sont ce qui sert le concept du mouvement et de l'espace, ils sont l'instrument de la représentation d'un concept : celui selon lequel c'est le mouvement qui constitue l'espace et qui critique la thèse de la peinture classique selon laquelle l'espace est premier sur les objets qu'il contient.
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1 février 2011 2 01 /02 /février /2011 16:16

William Forsythe, chorégraphe contemporain, prolonge le problème classique de la représentation de l'espace. Le corps n'est pas tant dans l'espace que ce qui constitue l'espace autour de soi et par le mouvement. Forsythe propose lui aussi (comme la peinture classique) une conception géométrique et neutre de l'espace. Cependant, il ne s'agit plus de penser un espace vide, un espace sans objet, qui existerait par soi seul, indépendamment des corps et des figures (comme le suppose la perspective). Il s'agit plutôt de penser que l'espace c'est ce qui s'organise autour du mouvement et que c'est le mouvement des  corps qui fait l'espace. Il n'y a pas d'espace vide et le mouvement est premier sur l'espace.

 

Les vidéos qui suivent présentent les leçons de Forsythe à ses danseurs, leçons qui visent à montrer comment le mouvement construit l'espace.

 

 

 

 

 

 

 

 

La danse, en tant qu'art qui présente l'essence du mouvement, est le lieu privilégié de monstration de cette conception de l'espace.
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31 janvier 2011 1 31 /01 /janvier /2011 15:23

Nous pouvons nous demander si le but de la perspective est d’imiter la vision, ou de représenter l’espace comme on le voit. En ce cas, le tableau ne serait rien d’autre qu’un miroir, ou un trompe l’œil, ou encore un copie en deux dimensions du réel.  On peut s'interroger sur les motivations d’un tel travail : pourquoi représenter le réel tel qu’il est ? A quoi sert la peinture alors ? Le réel ne suffit-il pas ?

 

Brunelleschi (1377-1446) est probablement le premier théoricien de la perspective. Il a tenté des expériences diverses pour formaliser ce qui deviendra la perspective. Brunelleschi laisse supposer que la perspective vise à reproduire la vision. C’est ce que montre son expérience du miroir qui consiste en cela : le peintre regarde à travers une planchette trouée une image qui se reflète sur un miroir. Il peut alors projeter l’image du miroir et en reconstituer la structure. Cette expérience fait du dessin quelque chose d’absolument réaliste.

 

brunelleschi exp1  brunelleschiexp2

 

 

   Expérience de Brunelleschi

 

 

 


Cependant son successeur, Léon Baptista Alberti (1404-1472), architecte et premier grand théoricien de la peinture, semble envisager la perspective autrement que comme reproduction exacte de la vision. Ce qu’on dessine dans la perspective c’est d’abord un concept mathématique et géométrique de l’espace, un espace euclidien, plan homogène, et proportionnellement structuré.

 

persplinéaire


albertipointdefuiteAlberti, perspective linéaire pouvant servir par exemple à la représentation d'un carrelage. il s'agit de tirer un ligne horizontale de hauteur, puis de fixer un point central correspondant au point fixé par le spectateur ou le peintre, puis enfin un point latéral qui permette de calculer la symétrie des carreaux s'éloignant du spectateur.

 

alberti grid

Alberti mit encore au point une grille permettant de mesurer la proportion géométrique des éléments du paysage.

 

 

Pour représenter cela il faut parfois déformer ce que l’œil voit. C’est ainsi que Descartes, dans la dioptrique, remarque que les peintres ne peuvent pas représenter les figures exactement comme elles sont au risque de rater leur effet. Ils doivent parfois, remarque Descartes, peindre des ovales pour représenter des cercles ou des losanges pour représenter des carrés. C’est ainsi qu’on peut en effet penser que la perspective est avant tout une représentation, c’est-à-dire un modèle conceptuel de l’espace et non pas l’espace tel qu’il est perçu.

 

perspective drawing"Pour prouver qu'il ne faut pas dessiner ni peindre comme l'oeil voit"

 

Ce que montre l'invention de la perspective, c'est donc un certain concept de l'espace, comme espace homogène, géométrique, neutre, divisble et surtout concevable indépendamment des objets qui l'habitent. C'est un espace mathématique.

 

On voit ici encore combien une technique n'est jamais neutre, brute, ni indifférente, mais est toujours déjà une représentation du monde.

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14 janvier 2011 5 14 /01 /janvier /2011 16:34

Pouvons-nous dire que le concept de représentation désigne l’imitation, la reproduction, la copie conforme du réel ? Si c’est le cas le tableau n’est rien d’autre qu’un trompe-l’œil, un jeu mensonger d’illusions visuelles, dont on ne voit aucunement l’utilité : pourquoi copier le réel, puisque nous avons le réel lui-même ?

 

Il faut donc penser le concept de représentation autrement que comme copie de ce qui existe déjà. Représenter signifie rendre à nouveau présent, cad rendre la chose présente à l’esprit, la présenter à nouveau. C’est en ce sens que nous pouvons penser que le tableau n’est pas représentation comme il serait reproduction. Dire qu’il est représentation c’est peut-être davantage dire qu’il est, à travers son objet, son thème, à travers ce qu’il représente, et la manière dont il le représente, une conception certaine de la nature, du monde, du réel.

 

Ainsi, à partir de la renaissance et jusqu’au 17ème siècle, le tableau use de procédés techniques qui sont bien plus que de simples procédés techniques : ils sont déjà en soi une vision de la nature.

A partir du 15ème siècle, les peintres et les architectes commencent, pour la première fois, d’élaborer une théorie de l’art et de la peinture. Auparavant, ne se posait pas comme un problème l’élaboration d’une telle théorie. Or ces théories de la peinture naissent au même moment que la physique moderne.

Ainsi, alors que les physiciens, comme Galilée (1564-1642) et Descartes (1596-1650), proposent une vision mécaniste et mathématisable de la nature, les peintres proposent de reconstituer le corps humain, ses proportions mathématiques, son mouvement, comme on reconstitue une machine,

devinciépaule

 

  Torso

 

img Etude-des-proportions-du-corps-humain Leonardo-DA-VINCI

 

devincimains

Dessins extraits des Carnets de Léonard de Vinci

 

... ils proposent encore, avec la perspective, de découper l’espace en un espace géométrique, qui non seulement reproduirait la vision humaine, mais encore et surtout reproduit l’idée de la matière comme « étendue, figure et mouvement », cad comme décomposable, divisible et recomposable, ou géométrique.

 

perspective drawing

 

 

perspective-Alberti

 

 

 

remise des clefs

La remise des clefs à Saint Pierre, Le Pérugin, Chapelle Sixtine, Vatican

 

 

 

Ecole d 'AthènesL'école d'Athènes, Raphaël

 

Nous pouvons reconnaître une parenté évidente entre la physique et la peinture. Le tableau montre ce que et comment pense la physique.

 

Ainsi par exemple pouvons-nous comparer les dessins de la dioptrique de Descartes et reconnaître leur évidente parenté géométrique :

 

dioptriquedescartes

 

La technique n’apparaît plus alors comme un simple ensemble de règles qu’il faut appliquer, mais comme une vision, une représentation de la nature, comme mécanique, géométrique et artificielle : celle de la physique moderne.

 

 

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